Un conflit en Europe et en Amérique
La guerre de 1812-1813 éclate entre les États-Unis et la Grande-Bretagne le 18 juin 1812. Elle a pour causes principales le blocus naval des Britanniques contre Napoléon et la capture de vaisseaux américains en haute mer. Le désir des Américains de s’emparer de la vallée du Saint-Laurent afin de contrôler le trafic maritime depuis les Grands Lacs jusqu’à la mer est certes une autre raison majeure du conflit en Amérique.
Pour s’opposer aux invasions américaines, l’armée britannique compte environ 6 000 soldats au Canada. Il faut ajouter à ce chiffre un nombre égal de miliciens recrutés principalement dans le Haut-Canada. Parmi les soldats des troupes régulières en fonction au pays, quelques Français faits prisonniers en Espagne entre 1808 et 1810, sont enrôlés dans le 60e régiment, une troupe composée d’étrangers recrutés en Europe et en Amérique.
Deux régiments suisses au Canada
En 1813, pour assister les troupes britanniques, deux corps d’infanterie d’origine suisse viennent combattre en Amérique aux côtés des troupes anglaises. Il s’agit des régiments de Watteville et de Meuron. Le régiment de Watteville est composé de 1 547 personnes réparties comme suit : 42 officiers, 1 414 sous-officiers et soldats, 8 domestiques, 45 femmes et 38 enfants. Du point de vue ethnique, il comprend, entre autres, 156 Suisses, 321 Allemands, 120 Italiens, 10 Hollandais, 238 Polonais, Hongrois et Russes, 39 Grecs et 40 Français. L’allemand est la langue de commandement du régiment.
En mai 1813, le régiment suisse de Meuron, composé de 1 040 hommes accompagnés de 92 femmes et 42 enfants, reçoit l’ordre de s’embarquer pour le Canada. Parti de la Méditerranée le 13 mai 1813, le régiment arrive à Halifax le 16 juillet suivant. Au début du mois d’août, les soldats remontent le Saint-Laurent, s’arrêtent à Québec puis les effectifs sont répartis dans la région de Montréal où ils sont prêts à entrer en opération le 3 septembre 1813. En 1814, le régiment de Meuron est composé de 44 officiers, 144 sous-officiers et 852 soldats. Du côté ethnique, le régiment compte : 313 Suisses, 256 Allemands, 120 Italiens, 259 Français, 23 Espagnols et 69 autres ethnies.
Parmi les 259 soldats d’origine française, on compte 23 sergents, 18 caporaux, 5 tambours et 223 soldats. Le français est la langue de commandement du régiment. Les soldats du régiment de Meuron sont répartis dans les villages de la vallée du Richelieu. Les habitants de Chambly, de Saint-Jean, de L’Acadie, de l’Ile-aux-Noix et de La Prairie sont surpris de voir arriver ces militaires qui savent si bien s’exprimer dans leur langue. Cette affinité entre les soldats et la population locale crée des liens qui se poursuivront après la guerre.
Le Traité de Gand, signé le 24 décembre 1814, entre l’Angleterre et les États-Unis met fin au conflit en Amérique. Le régiment de Meuron, comme celui de Watteville est licencié le 16 juillet 1816. Parmi les militaires du régiment de Meuron, 346 soldats et 10 officiers demeurent au Canada alors que les autres militaires s’embarquent à Québec, le 26 juillet 1816, sur le vaisseau Eliza à destination de l’Angleterre.
Origine des soldats du régiment de Meuron établis au Canada1
Le régiment suisse de Meuron est un régiment multi-ethnique sont les effectifs proviennent de plusieurs pays européens. Voici le pays d’origine des 266 soldats qui se sont mariés, avant leur départ de l’île de Malte ou au Bas-Canada.
Pays d’origine des 266 soldats établis par mariage au Canada | |||
Allemagne | 29 | Suisse | 56 |
Belgique | 23 | Espagne | 5 |
France | 98 | Autres pays | 8 |
Italie | 47 | ||
Les Français ont été fait prisonniers par les troupes espagnoles lors de la bataille de Baylen qui s’est déroulée du 19 au 22 juillet 1808. Pour éviter la mort, à l’automne 1808, plusieurs soldats acceptent de s’enrôler dans le régiment suisse de Meuron à la condition expresse de ne jamais combattre contre des Français. C’est ainsi qu’en novembre 1808, plusieurs centaines de militaires sont engagés à Cadix et à Gibraltar puis envoyés à l’île de Malte pour rejoindre les autres soldats du régiment qui sont en garnison dans cette île de la Méditerranée au service des Britanniques.
L’établissement des soldats du régiment de Meuron au Bas-Canada
Le régiment suisse de Meuron laisse plus de traces au pays que celui de Watteville en raison de sa composition, de son rôle et de ses affectations. Entre 1814 et 1816, 95 soldats d’origine française demeurent au pays au terme des hostilités avec les Américains et prennent épouses entre 1813 et 1836. Ce nombre représente 35 % des militaires français qui s’établissent au Bas-Canada après la guerre de 1812.
Régions de mariage des 266 soldats du régiment de Meuron | |||
Montérégie | 118 | Lanaudière | 4 |
Montréal | 117 | Mauricie | 2 |
Centre-du-Québec | 6 | Autres régions | 2 |
Québec | 6 | Europe | 11 |
La Montérégie est la région où on compte le plus de mariages parmi les soldats de toutes nationalités soient 26 à Chambly, 27 à l’Acadie et 18 à Sorel. Des 118 mariages célébrés dans les paroisses de la Montérégie, 44 sont d’origine française.
Parmi les soldats du régiment de Meuron demeurés au pays, plusieurs s’installent dans la vallée du Richelieu, souvent aux endroits où ils ont été stationnés pendant trois ans, soit comme journalier, agriculteur ou commerçant. D’autres s’installent à Montréal ou l’activité commerciale offre une meilleure chance d’avenir. Au point de vue religieux 230 se sont mariés à l’église catholique tandis que 36 se sont mariés à l’église protestante.
Conclusion
Ces nouveaux immigrants francophones, arrivés en 1813, s’intègrent parfaitement à la société canadienne du début du XIXe siècle en épousant des Canadiennes et en occupant des métiers similaires à ceux des gens du pays. Très peu sont demeurés célibataires.
Marcel Fournier, AIG
Longueuil (Québec) le 25 janvier 20025
Mardi dernier, a eu lieu à l’Hôtel-de-Ville de Napierville, la cérémonie de la présentation de la médaille de Sainte-Hélène, à Henri-Louis (Pierre-Henry) Heyer, ancien soldat de Napoléon 1er. Le lieutenant-colonel Coursol des Chasseurs Canadiens, en attachant lui-même la médaille sur la poitrine du brave vétéran, lui exprimant tout le plaisir qu’il ressentait, en lui remettant cette décoration, de contribuer ainsi à la récompense des services d’un brave, qui non seulement s’est illustré sur les champs de bataille historiques de la vieille Europe, mais qui a encore porté les armes en Canada sa seconde patrie, et dont sa vaillante conduite à Châteauguay […]. Le brave soldat était si ému qu’il ne put retenir ses larmes. Heyer a servi sous Napoléon à Eylau [Prusse Orientale] où il fut blessé, et a pris part à plusieurs autres batailles. Après avoir laissé l’armée française, il s’enrôla dans le bataillon suisse organisé en Angleterre, et vint en Canada […]. Quoique très âgé, le vieux vétéran semblait avoir rajeuni pour la circonstance, et quand il répondit au salut militaire, il était aussi fièrement cambré qu’il y a 50 ans, les jours de revue.
Article du journal Le Franco-Canadien de Saint-Jean-sur-Richelieu le 24 août 1863
Appendice 1
Le parcours militaire d’Henry Heyer soldat au régiment de Meuron
On peut lire dans le journal La Minerve du 22 août 1863 un texte intéressant sur le parcours militaire d’Henry Heyer à l’occasion de la remise de la médaille de Sainte-Hélène à ce soldat de Napoléon 1er.
Heyer, Henry, né le 6 décembre 1787 à Kempten, près de Cologne, était conscrit de 1806. Il partit le 7 juin pour Aix-la-Chapelle, de là il fut envoyé au dépôt, à Mayence, où il reçut son uniforme et fut incorporé au 51e régiment de ligne. Trois semaines après il passa en Prusse où il séjourna dans différentes villes. Il fut blessé d’une balle au menton le 8 février 1807 lors de la bataille d’Eylau. Quatre mois après la paix ayant été conclue avec la Prusse, il rentra en France après avoir traversé une partie de la Pologne et de l’Allemagne. En mars 1808, il partit pour l’Espagne, passa par Victoria, Burgos, et arriva enfin à Madrid où il se trouvait en mai 1808, lorsqu’éclata la révolution dans cette dernière ville. La troisième division du maréchal Moncey, dont il faisait partie, reçut l’ordre de quitter Madrid et de se rendre à Valence.
C’est pendant cette retraite que M. Heyer tomba pendant la nuit entre les mains de l’ennemi. Il fut enfermé dans la citadelle de Valence, puis conduit à Carthagène où il resta treize mois comme prisonnier de guerre, ayant constamment refusé de prendre les armes contre la France. M. Heyer ainsi que plusieurs de ses camarades choisis par le colonel du 19e régiment de cavalerie anglaise, furent envoyés à Messine par une flottille de 13 bâtiments. Comme les prisonniers de comprenaient pas alors l’anglais, ils présentèrent une requête au général anglais Stuart qui les fit conduire à l’île de Malte, où ils furent incorporés dans le régiment des Meurons.
En mars 1813, trois bâtiments de guerre conduisaient ce régiment au Canada; mais tout le régiment, avant le départ, posa comme condition de ne pas se battre contre la France; cette condition fut acceptée. Arrivé en juin 1813 au Canada, M. Heyer fut envoyé au camp de Chambly, de là à Châteauguay, puis à Plattsburgh. Après la prise de la flotte anglaise, le régiment des Meurons vint à Saint-Jean où il resta jusqu’à la paix. Ce régiment fut ensuite licencié, à Montréal en 1816. Depuis ce temps M. Heyer est constamment resté à Montréal où il exerce une profession de jardinier. Pendant plusieurs années, il a servi comme sergent-major, sous les ordres du colonel Delisle, dans le 11e bataillon de Montréal.

Soldats du régiment de Meuron
1 Ce texte a été rédigé à partr de trois ouvrages sur le sujet : Les Français au Québec 1765-1868. Un mouvement migratoire méconnu de Marcel Fournier (Septentrion, 1995) Le Régiment suisse de Meuron au Canada de Maurice Vallée (Société d’histoire de Drummondville, 2005) et Les soldats de Napoléon 1er décorés de la médaille de Sainte-Hélène au Canada de Marcel Fournier (Longueuil, 2021).
2 Marcel Fournier, Les pionniers et pionnières établis par mariage au Canada 1617-1825, htps://archiv- histo.com/pionniers.php
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